Louise Cara est une artiste-peintre française qui vit en Provence à Avignon. Elle découvre Fès en 2005 lors des Musiques Sacrées, éprouve pour la cité fassie une grande fascination, un choc esthétique qu’elle traduira par la suite dans son travail de peintre dès 2007.

En 2006, elle rencontre Faouzi Skali qui la convie à participer à la 1ère édition du Festival de la Culture Soufie. La Trame se tisse. Lors d’une performance qu’elle réalise au Palais Mokri, une magie s’établit tout naturellement entre elle et les enfants de la médina, qu’elle invite à peindre sur ses œuvres en direct, les guidant avec sa main. Le corps à corps des mains rencontre leur cœur.

La vibration spirituelle de Fès, les conférences et les musiques écoutées pendant le Festival, bouleversent l’artiste. L’inspiration éveillée, la création entre en quête, l’œuvre se transforme.

A partir de 2007, Louise Cara modifie son style pictural pour une graphie plus épurée, sous forme de traits et de tracés en noir, gris et blanc. Une singulière calligraphie se met en place, pour évoquer symboliquement les dédales de la médina, comme pour retranscrire un chemin initiatique, celui qu’elle associera à sa quête spirituelle et à l’expérience du corps dans les entrelacs des ruelles.

Fès est traduite à travers la graphie sacrée du labyrinthe sous forme de tracés noirs à l’encre japonaise révélés par la pureté blanche des papiers et des toiles. Souvent leurs aplats installent soit une géométrie qui évoque le noir et le blanc juxtaposé d’une écriture coufique réinterprétée, soit les traces d’un mouvement qu’aurait laissé la danse d’un derviche tourneur.

Elle développera sur plusieurs années un certain nombre de séries directement liées à l’inspiration de Fès : Villes Labyrinthe, Urban Kilim, Fil d’Ariane, Tectonic, Unité, dernièrement Pavé Mosaïc . En 2019, elle présente au Château de Gordes en Provence une exposition Terres de lumière. Louise Cara y déploie sur 360 M2 de grands formats et révèle tout son attachement à ses villes inspiratrices : Jérusalem, Fès, Avignon, sœurs en minéralité et en nature communes, ainsi que New York pour les traits répétés de ses gratte-ciels et de ses fenêtres rectangulaires. Elle y convie des danseurs qui déambulent en résonance RAJI et YUMA, chorésophes, elle y propose des lectures de son livre Carnet de mots, Abécédaire d’atelier, accompagnée d’amis comédien Serge Barbuscia et Farshad Soltani, musicien iranien.

L’option pour l’absence de couleur est un parti pris spirituel qui permet à Louise Cara de traduire son Essentiel. Une écriture aujourd’hui a pris forme pour une proposition universelle de lecture de ses signes, celle d’une peinture interculturelle, l’une des valeurs fondatrices que porte Faouzi Skali, à travers les Festivals qu’il a créés.

C’est cette transmission que Louise Cara  a reçue de Fès.

Vernissage en ligne : samedi 17 octobre 2020, 17h30 (Maroc), 18h30 (France)

Vidéo « Lecture de  F comme Fès «  , extrait du livre de Louise Cara par Louise Cara

Textes issus de Carnets de mots, Abécédaire d’atelier Louise Cara à l’exception du poème de Rûmî.

Lecture par Carole Latifa Ameer.

http://www.louisecara.com

Médina

    comme médina

Je sens la médina, je sens le cèdre, je sens sa terre grise, ancienne, craquelée par le soleil, ou trop humide dans ses soubassements, fraîche lorsqu’elle vient d’être posée, juste talochée. Ici pas de pisé, la terre des murs, des remparts, des venelles, des tallahs, est la terre des potiers de Fès, ardoise grise, argile bistre, blanche vue des Mérinides. Vue d’en haut, la médina de Fès est une juxtaposition serrée de maisons, de riads qui se collent les uns aux autres, enchevêtrés dans une interdépendance totale, absolue. La fragilisation d’un d’entre eux compromet l’édifice d’un quartier, d’une ruelle. À Fès, l’architecture est régie par la loi du pluriel dans l’unité. La médina est un vendredi de prière. Riads posés dans l’harmonie et hommes agenouillés en direction de la Mecque obéissent ensemble au même mouvement et donnent à voir les mêmes signes de manifestation physique face à Dieu. Tous ils sont l’Un, et chacun est unique. Chaque riad obéit aux règles de l’architecture islamique et comme les hommes et les femmes de cette cité, chaque riad, chaque fassi, chaque artisan, chaque jardin offre au découvreur sa singularité intégrée à l’ensemble, sa générosité individuelle, sa joie simple et humble. Sa beauté andalouse y est luxuriante et noble. J’aime cette médina de Fès plus que toutes les autres, si magnifiquement décrite par le poète Salah Stétié. La médina de Fès est au féminin comme un ventre dans lequel on entrerait, c’est un labyrinthe dans lequel on se perd. Et dans lequel on trouve son obscur et sa lumière. Il faut que le temps m’éloigne d’elle pour que je puisse l’évoquer. Alors je cligne des yeux, son réel se brouille. De sa globalité surgissent ses fenêtres comme des traits noirs, l’ouverture de ses arcanes et de ses porches dans le lointain de la nuit et l’étendue horizontale de sa perception. La toile peut s’élaborer. Le souvenir se met en place dans la douceur de mon attachement et la nostalgie de ce que j’y ai ressentie.

Labyrinthe

comme labyrinthe

C’est un symbole que j’étudie depuis trente ans. Sa graphie me fascine à travers l’histoire et les civilisations. Son sens symbolique est puissant. il désigne le chemin sinueux de la quête. Il représente physiquement son itinéraire. Pour moi, il en est le sceau. J’aime la beauté de ce mot, le son qu’il fait en le prononçant. Ses lettres elles-mêmes révèlent sa complexité. Il est gonflé de son sens et lui seul est gorgé des épreuves qu’il impose : errance, méandres, dédales, circonvolutions, perte, danger, fuite, mort, issue, épreuves, inextricable, prisonnier, monstre. Il porte en lui aussi la voie de la résolution des épreuves imposées : fil d’Ariane, centre, chemin, sortie, combat des passions, chambre secrète. J’ai toujours été convaincue que pour comprendre un symbole, il fallait l’expérimenter dans sa vie. Je devais vivre le labyrinthe avec mon corps. La médina de Fès m’en donna l’occasion et conjointement me permit d’associer cette expérience physique à celle de l’esprit et de l’âme. J’étais en quête d’une voie spirituelle, j’ai rencontré des soufis. Fès me révéla certains secrets. Elle me fit découvrir l’Inspiration, et m’a ouvert le cœur. Mais le labyrinthe a ses pièges, sournoises sont ses trappes qu’on ne voit pas, insidieux ses faux métaux qui brillent comme l’or. Il faut trouver en soi l’Ariane et le fil. Ariane fut ma peinture, et le fil : sa graphie !

Rûmi

comme Rûmi

Je viens de cette âme qui est à l’origine de toutes les âmes

Je suis de cette ville qui est la ville de ceux qui sont sans ville

Le chemin de cette ville n’a pas de fin

Va, perds tout ce que tu as, c’est cela qui est le tout

Trame

comme Trame

La trame est une âme. Je ressemble à ce tisserand devant son métier à tisser. Patiemment, jour après jour, traçant, reliant, j’établis la cohérence entre les lignes et le vide non rempli. Le fil entrelaçant la trame d’un sens qui n’apparaît qu’après. La trame est le tamis de ma mémoire – le vertical et l’horizontal croisés de créations en devenir.

Unité

comme unité

Avignon, Fès, Jérusalem ont en commun leurs pierres, leurs remparts, leurs collines, leurs oliviers, leurs cyprès, leur lumière. Entre elles, elles partagent ce langage visuel et je les peins pour qu’elles soient sous le signe de l’unité. Pourquoi les hommes dénouent-ils et coupent-ils les liens jaillis d’une même source ?