Editorial du Président

Si l’homme cet homo sapiens n’était que raison il serait pratiquement assimilable à une machine et les choses seraient, sinon plus simples , du moins plus prévisibles . Mais l’homme n’est pas fait que de raison . Il est aussi une être de passion et , plus globalement, un être de désir . La spiritualité en général et le soufisme en particulier se sont penchés sur la réalité de cette vie intérieure qui nous anime et nous guide plus souvent encore que nos choix rationnels . Dans le soufisme s’est ainsi dessinée une science des « états intérieurs » qui ne vise pas seulement à comprendre ce grand magma des passions qui nous habitent mais aussi à transformer celles-ci par l’alchimie d’un cheminement intérieur et en faire des qualités spirituelles vécues . Ainsi en est-il du sentiment de compassion , d’humilité , de cette capacité d’étonnement et d’émerveillement et , plus encore , de cette émotion supérieure qui est dans cette voie la couronne de toutes les valeurs : l’amour spirituel. Le désir qui dans un certain degré de conscience peut s’assimiler à de la simple avidité ou cupidité peut ainsi s’orienter et s’élever , traversant les différents degrés d’une passion d’amour sans limite.
Cet envol de l’amour , selon une expression du soufisme , s’accompagne de cette connaissance du cœur dont Pascal disait qu’elle avait ses propres modalités d’intelligence . Cette forme de conscience est bien plus qu’une conscience morale . Elle porte en elle la possibilité d’agir sur le réel et de le transformer .
L’historien et précurseur de la sociologie Ibn Khaldun n’avait pas négligé la réalité en oeuvre de ces passions dans l’histoire et a consacré un traité à mieux définir cette « science des cœurs » et ses diverses expressions et implications . Mais il faut aller plus loin encore et montrer comment cette sociologie des passions peut être à l’œuvre dans nos sociétés , non seulement comme une réalité observable mais aussi comme un moyen de transformer et d’élever la conscience ( et partant l’intelligence spirituelle) collective humaine au sein de celles-ci . Apportant sens et sagesse à un monde qui en semble largement dépourvu.
Une telle conscience spirituelle pourrait éclairer nos savoirs et nos recherches scientifiques d’une lumière , d’une finalité et sans doute -en raison de nouvelles convergences – d’une fécondité nouvelle . À l’inverse d’une conscience morale abstraite qui a montré ses limites et son impuissance elle pourrait trouver les ressources de connaissance nécessaires pour que les sciences et les technologies livrées à elles-mêmes ne mènent pas seulement, comme nous en voyons les prémices, vers une possible ruine de notre humanité et de son habitus naturel mais aussi , face au «  grand remplacement » entamé désormais par le transhumanisme , à la ruine de cette âme ou dimension spirituelle qui fonde notre humanité et , dans sa finitude et fragilité mêmes , la singularise comme une épopée unique et exceptionnelle.
Faouzi Skali.